Note d'orientation du PREA

1. Le dialogue sur les politiques à travers la recherche en éducation et l’analyse des politiques

Depuis sa création en 1988, l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA), anciennement appelée Bailleurs de fonds pour l’éducation en Afrique (DAE), a investi considérablement dans la recherche et les travaux analytiques afin d’appuyer sa mission principale : la promotion du dialogue sur les politiques ainsi que le changement et les réformes transformatives de l’éducation en Afrique. Cela implique aussi le renforcement des capacités de ses principales parties prenantes : les ministres africains de l’Education, les responsables politiques de haut niveau, les agences bilatérales et multilatérales de financement et d’assistance technique, les institutions internationales et nationales non gouvernementales, les organisations de la société civile et les praticiens de l’éducation en général.

Afin d’être efficace et crédible, l’approche de l’ADEA en matière de dialogue sur les politiques et de développement des capacités est fondée sur des faits étayés par des preuves et, par voie de conséquence, son travail a été fortement influencé par les questionnements scientifiques conçus pour éclairer les décisions politiques impactant l’éducation. Pour cette raison et conformément à cette approche, l’ADEA sert de plateforme au dialogue et à l’expérimentation, et dans un second temps à la promotion de cadres conceptuels, de méthodes, d’outils et de pratiques innovantes. Au fil des ans, l’ADEA a utilisé la recherche empirique pour explorer de nouvelles idées et expérimenter des innovations qui autrement n’auraient sans doute pas été introduites au niveau national, soit par méconnaissance de leur potentiel ou en raison des risques politiques impliqués. Les Biennales de l’ADEA, et plus récemment la Triennale organisée à Ouagadougou au Burkina Faso, sont une parfaite illustration de cette approche.

L’ADEA joue également un rôle important en favorisant la synthèse des connaissances et des idées, produites en Afrique et ailleurs, pouvant être utiles au développement de l’éducation sur le continent africain. A titre d’exemple, deux jours d’apprentissage et de partage des expériences de la diaspora africaine et de la Corée du Sud ont été organisés lors de la Triennale 2012 à Ouagadougou. Cette stratégie est issue de l’approche praxis de l’ADEA qui vise à promouvoir l’apprentissage par le biais de l’analyse, individuelle et collective, des actions conduites sur le terrain, de la mise en perspective des leçons tirées à l’aide de l’approche analytique comparative qui consiste en un examen comparatif des expériences nationales et internationales et au retour ensuite vers les actions d’origine afin de les améliorer et de les développer.

2. Le développement des capacités en tant que processus d’apprentissage

Le développement des capacités en matière d’élaboration, d’application et d’évaluation des politiques ne relève plus par conséquent de la formation traditionnelle, ni du simple transfert de compétences et encore moins de l’assistance technique. Il s’agit plutôt d’un processus de production de connaissances et d’idées, de la diffusion et de l’utilisation des résultats qui émanent de ce processus pour appuyer l’apprentissage et la pratique basés en Afrique. Il s’agit par conséquent d’un processus visant à relever les défis des réformes éducatives, des innovations et du développement général. Par essence, il répond à la diversité des situations et des besoins africains. Ainsi, les partenariats stratégiques et le partage (local et international) sont déterminants pour mettre en œuvre l’expertise, les connaissances et les expériences mondiales afin d’éclairer les réformes, les pratiques et la transformation de l’éducation en Afrique. En ce sens, le renforcement des capacités se réalise par un processus d’apprentissage constructif qui favorise l’autonomie locale tout en s’inspirant du large éventail d’expériences et de pratiques.

En résumé, l’ADEA plaide et œuvre en faveur de l’apprentissage actif comme approche de résolution des problèmes, un processus d’apprentissage social fondé sur la collégialité et la mutualisation des idées et des connaissances et un processus d’apprentissage qui aboutit à la création d’une culture analytique entre les parties prenantes et au processus de transformation sociale de l’éducation.

3. Le rôle essentiel de la recherche africaine

Les propos qui viennent d’être exposés suggèrent que la qualité de l’apprentissage et la capacité à se servir de cet apprentissage pour une prise de décision efficace sont directement liées à la qualité de la formation à la recherche, à la diversité et l’intensité de l’engagement et à la production de chercheurs basés sur le continent africain. La qualité se rapporte à différentes dimensions critiques : l’ancrage de la recherche en éducation dans l’environnement éducatif africain, les compétences analytiques des chercheurs, la capacité des chercheurs à dépasser les théories et les constructions étrangères quand ils traitent de l’éducation et à développer une compréhension authentiquement africaine de l’éducation, la capacité des chercheurs à s’appuyer sur une authentique compréhension de l’éducation africaine et à permettre que cette compréhension détermine les contours de la recherche conçue pour éclairer les politiques, leur sensibilité aux tendances plus profondes des contextes socioculturels et économiques du continent et surtout la capacité des chercheurs et de ceux qui les soutiennent à diffuser leurs résultats dans le domaine public et à communiquer de manière efficace avec les responsables politiques et les praticiens.

Bien que la recherche reflète inévitablement des voix et des perspectives multiples, il est essentiel que ces dernières continuent à prendre part aux débats sur l’éducation et influencent ainsi directement ou indirectement l’apprentissage et les capacités des responsables politiques et des principales parties prenantes.

4. L’environnement et les contraintes actuels de la recherche en éducation

Cependant, un enjeu essentiel de la recherche en Afrique demeure la faible qualité de l’environnement institutionnel de la recherche en éducation. A l’heure actuelle, cet environnement est modelé par l’interaction d’un certain nombre de facteurs qui affectent le développement de l’enseignement supérieur et son interaction dans l’élaboration des politiques. Plus particulièrement, le déclin des universités dans les années 1980 et 1990 et l’expansion rapide récente de l’enseignement supérieur ont conduit au déclin général des capacités de recherche et de la qualité et de la quantité de la recherche produite.

Une conséquence importante est la dépendance encore plus grande des ministères africains de l’Education au financement des bailleurs de fonds et par voie de conséquence, à l’influence accrue de ces derniers sur la recherche. Les financements spéciaux des bailleurs de fonds en faveur de la recherche ont souvent conduit à la création d’institutions de recherche privées, hors des universités, qui sont ensuite chargées de produire la recherche pertinente pour les politiques. Les résultats de ces recherches, basées sur les conditions définies par les agences et menées hors des cadres nationaux réguliers d’assurance qualité, sont souvent transmis aux ministères. Cette forme d’engagement des chercheurs nationaux comme consultant est une contrainte supplémentaire posée à leur autonomie et à leur capacité à produire une recherche pertinente et de qualité pour répondre aux défis posés à la nation.

Avec l’expansion rapide de l’enseignement supérieur en Afrique, les capacités de recherche disponibles ont plutôt été déployées avec parcimonie dans les établissements, où le personnel doit accorder la priorité aux fonctions d’enseignement et d’administration. Pour cette raison, les chercheurs qui veulent continuer à se consacrer à une recherche indépendante doivent équilibrer leur activité de recherche avec l’enseignement et les missions de consultant. Parallèlement au déclin de la recherche financée par les universités, les autres expressions caractéristiques d’une communauté vivante de chercheurs comme les débats intellectuels, les séminaires, les conférences et les revues ont également énormément souffert en raison de la rareté du temps disponible et des opportunités de collaboration et de réseautage. Le manque de financement local constitue aussi un handicap majeur. 

La recherche de qualité tend par conséquent à se limiter à quelques spécialistes dévoués travaillant souvent avec des chercheurs étrangers s’intéressant aux études africaines. En outre, lorsque la recherche est commanditée de cette manière, il n’est pas inhabituel que l’on attende que les chercheurs africains adoptent un rôle de subordonné dans le processus de la recherche bien qu’ils soient les experts en matière de contenu et de contexte local.

L’implication de l’ADEA dans la commande de travaux de recherche menés par des chercheurs basés en Afrique a mis en lumière la nécessité de s’investir dans le renforcement des capacités des chercheurs africains existants à mener des recherches de qualité plus élevée. De nombreux facteurs expliquent cette situation : les ressources limitées pour entreprendre des travaux de recherche, les difficultés associées à la langue et au mode de communication des résultats de la recherche, la dépendance à des théories et des constructions incompatibles avec la complexité et la dynamique de l’éducation africaine ainsi que les contraintes liées au partage de la recherche avec un public plus large. On peut aussi noter que peu de ministères de l’Education ont une culture bien développée de la recherche qui influe sur l’orientation de la prise de décision. De plus, lorsque la recherche est nécessaire, on fait trop souvent appel à des chercheurs occidentaux qui utilisent des théories, des constructions et des pratiques incompatibles avec le contexte africain et qui peuvent avoir pour conséquence la mise en place de pratiques éducatives qui ne sont pas particulièrement adaptées au contexte éducatif africain.

Au fil des ans, l’ADEA a fait beaucoup pour encourager les ministères de l’Education, les organisations de recherche, les universités et les ONG à s’impliquer davantage dans différentes formes de recherche en éducation et à utiliser davantage et faire un meilleur usage des travaux déjà réalisés. Les Biennales et la dernière Triennale ont offert d’excellentes opportunités de solliciter des études réalisées « dans les règles de l’art », d’enquêter sur ce qui a été identifié comme les enjeux politiques clés, les pratiques et les expériences de mise en œuvre des politiques sur le terrain. En outre, les institutions et les experts individuels ont été invités à faire la synthèse de leurs idées dans leur domaine de spécialisation. Ce travail a commencé à montrer les forces de la contribution potentielle de la recherche ainsi que les contraintes en matière de capacités auxquelles se heurtent les ministères, les institutions de recherche et les chercheurs. Il est clair qu’il reste beaucoup à faire pour améliorer les capacités humaines en matière de recherche et la capacité des ministères et des institutions à faciliter tant la production que l’utilisation de la recherche, en particulier celle qui est directement pertinente pour les politiques et les pratiques éducatives.

5. Les stratégies pour stimuler la recherche en éducation en Afrique

Comme nous l’avons indiqué plus haut, la recherche en éducation en Afrique est confrontée à d’énormes défis. Premièrement, il est nécessaire de renforcer les capacités pour répondre à la demande croissante résultant de l’expansion des systèmes éducatifs et à l’exigence accrue d’une recherche de qualité pour éclairer les processus de changement et d’innovation. Deuxièmement, il est essentiel que des ressources locales venant des budgets nationaux soient affectées à la recherche de façon à diminuer la dépendance au financement des bailleurs. En outre, de nouveaux efforts peuvent être consentis au niveau national pour aligner le financement des bailleurs aux priorités nationales et aux programmes de recherche existants, afin de réduire la fragmentation des efforts et les capacités limitées. Troisièmement, il est impérativement nécessaire de mettre en place un processus ou des programmes systématiques visant à construire de nouvelles capacités pour remplacer les chercheurs vieillissants et répondre à la demande croissante de recherche adressée aux systèmes éducatifs en expansion.

Quatrièmement, le mode dominant du conseil doit être complété par un mode plus autonome de recherche de base mettant au défi les chercheurs de s’engager dans une réflexion critique et une action transformative et de contribuer ainsi à développer des communautés intellectuelles à la pointe de la recherche en éducation en Afrique. Pour finir, les poches existantes de chercheurs de qualité qui s’investissent pour influencer les politiques doivent être encouragées et récompensées.

Les problèmes causés par les contraintes structurelles actuelles semblent suggérer que les interventions et les incitations destinées aux chercheurs africains en éducation doivent avoir plusieurs axes : 1) Evaluer le niveau de préparation des savants basés en Afrique à mener des travaux de recherche ; 2) Concevoir des modules de développement professionnel facilement accessibles aux chercheurs basés en Afrique afin d’accroître leurs connaissances et leurs capacités à mener des travaux de recherche de qualité, pertinents pour les politiques ; 3) Offrir des incitations (pécuniaires et autres) qui donneraient aux chercheurs africains l’opportunité de mener des travaux de recherche dans un environnement propice à la poursuite d’une recherche de qualité et pertinente.

Dans un tel contexte, la création d’un système de récompense de la recherche en éducation, s’il ne résout pas tous les problèmes, pourrait être une incitation majeure pour les individus, leurs unités, leurs départements et leurs instituts, où qu’ils se trouvent, à faire des efforts supplémentaires pour produire une recherche de qualité face à tant de contraintes personnelles et structurelles. Cela pourrait prouver que l’esprit d’indépendance et d’érudition, avide d’aller au fond des questions et des problèmes, n’a pas disparu, mais a grand besoin d’être valorisé, soutenu et mis à profit au service des réformes éducatives et du développement durable de l’Afrique.

6. Les stratégies de mise en œuvre du PREA

Afin de promouvoir le Prix pour la Recherche en Education en Afrique (PREA), l’ADEA collabore avec l’Institut africain de développement (IAD) de la Banque africaine de développement (BAD). L’IAD a pour mandat la formation et le développement des capacités pour soutenir l’efficacité des opérations financées par la Banque et est depuis 2010 le point focal du Groupe BAD pour relever les défis liés au renforcement des capacités et renforcer le rôle de la Banque en tant qu’institution du savoir. Il en découle que la recherche et l’éducation sont les éléments essentiels du renforcement des capacités et du partage du savoir de la Banque.

Le prix sera géré et mis en œuvre par l’ADEA et l’IAD avec l’appui initial d’Education Sans Frontières (ESF) et de l’Université nationale de Séoul (SNU) de Corée. ESF et la SNU offriront aussi des opportunités de formations complémentaires aux chercheurs lauréats des différentes catégories du Prix. Cet appui prendra la forme de bourses d’études et d’opportunités de recherche post-doctorales.

De futurs appuis pour le prix seront sollicités partout afin d’assurer sa continuité et sa pérennité.

L’ADEA et l’IAD assureront une large adhésion à la raison d’être du Prix africain de la recherche en éducation. En effet, la réussite du prix dépendra du soutien que l’ADEA et de l’IAD seront en mesure de réunir de la part des principaux acteurs comme les réseaux et les instituts africains de recherche, les ministères de l’Education et leurs partenaires techniques et financiers (agences bilatérales et multilatérales de développement), les fondations, les organisations de la société civile et les autres parties intéressées (par exemple, les groupes médiatiques).

La description détaillée et les critères de sélection des lauréats des différentes catégories du Prix et ainsi que les stratégies et les processus de mise en œuvre seront précisés dans les statuts et les autres documents opérationnels.

7. Les résultats escomptés du PREA

  • Le prix peut aider à distinguer et mettre en évidence la recherche innovante et de qualité qui est engagée dans l’élaboration des politiques et qui éclaire les pratiques éducatives. Les institutions ou les chercheurs distingués peuvent servir de modèles pouvant en inspirer d’autres selon leur situation.
  • Le prix peut aussi contribuer à la revitalisation des institutions de recherche et des initiatives de renforcement des capacités dans le domaine de la recherche en éducation. Cela montre la nécessité de proposer des prix qui distinguent les chercheurs individuels, les mentors/superviseurs et les institutions.
  • Le prix deviendra ainsi un mécanisme de reconnaissance des jeunes chercheurs émergents, entreprenants et innovants, des chercheurs en éducation chevronnés et influents, des mentors dévoués de jeunes chercheurs et d’érudits, et des institutions qui font des efforts extraordinaires pour produire une recherche en éducation de qualité et pertinente dans ces circonstances difficiles.
  • Dotés des canaux de communication et de diffusion à un public plus large en Afrique, les travaux de recherche distingués par ce prix pourraient contribuer à influencer davantage les politiques et l’environnement de la recherche.
  • Le prix serait une lueur d’espoir pour les chercheurs voulant contribuer aux réformes, à l’innovation et au développement de l’éducation en Afrique. Le défi est d’en faire le prix le plus convoité. De cette façon, il inspirera la création de la prochaine génération de chercheurs africains en éducation.