Apprentissage innovant en Afrique grâce aux bandes dessinées et aux films d’animation

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L’industrie indigène de la bande dessinée et du dessin animé en Afrique a continué d’évoluer et de réaliser des avancées louables malgré ses débuts fortement marqués par une sous-représentation, une qualité médiocre, une faible visibilité et d’autres problèmes qui font obstacle à l’émergence d’une nouvelle industrie créative sur le continent. L’année 2015, semble-t-il, a cependant marqué l’apogée de l’attention dont elle a bénéficié au niveau mondial. Pour citer Roy Okupe, fondateur de Youneek Studios et producteur de la bande dessinée du super-héro africain dénommé E.X.O.,

« il y a dix ans, si vous sortiez un super-héros du Nigeria, je pense que personne ne s’en serait soucié, mais à présent c’est une affaire prisée, parce que les gens veulent de la diversité. »

Évolution à tous les niveaux du paysage de la bande dessinée et du film d’animation d’inspiration africaine

Au cours des neuf dernières années, les illustrateurs et auteurs de bandes dessinées et de films d’animation d’inspiration africaine, propres au continent, ont bénéficié d’une grande visibilité globale et d’un certain niveau d’acceptation au niveau mondial grâce à des sorties sous le label de marques médiatiques mondiales telles que CNN, Forbes, Yahoo, Quartz, etc. En 2016, Marvel Comics a surpris le marché mondial de la bande dessinée avec sa création d’un personnage de bande dessinée à thème africain, Black Panther. La nouvelle la plus récente a été la grande annonce faite en 2017, également par Marvel Comics, de dévoiler un personnage nigérian dénommé, Ngozi, personnage principal du roman de science-fiction africain de Nnedi Okorafor intitulé, Blessing in Disguise, comme étant le dernier-né de la famille des super-héros. Ngozi rejoindra ses semblables que sont Captain America, Spiderman, Black Panther et autres pour continuer à sauver l’univers dans les futures séries de leurs œuvres, avec sa première sortie déjà effectuée au mois de septembre chez Venomverse. C’est une première du genre pour un auteur nigérian d’être publié par un grand éditeur international de bandes dessinées – un pas en avant fait par Marvel Comics pour accroître la diversité du contenu sur le marché mondial. Ces attentions et expositions notables doivent avoir une certaine signification en termes de progrès.

En Afrique même, les Africains ont manifesté une attitude positive dans l’appréciation du contenu produit par les jeunes avant-gardistes de cette industrie. À cet effet, le Comic Con de Lagos – une foire annuelle de passionnés qui en est à sa 6e édition et qui a démarré avec 300 invités en 2012 pour atteindre 5.000 invités en 2017, mettant en vedette les bande dessinées, les films d’animation, les jeux, les films et la réalité virtuelle produits par les Africains – est l’un des grands témoignages du haut niveau d’appréciation, du réseau et de la fraternité que ce secteur a contribué à créer entre les créateurs et les mécènes sur le continent. Il convient de noter les efforts de l’une des principales maisons d’édition africaines, à savoir Kachifo Ltd, qui a publié le 13 novembre Anike Eleko, une bande dessinée centrée sur l’éducation des jeunes filles, rédigée par Sandra Joubeaud et illustrée par Àlàbá Ònájìn. L’ère des bandes dessinées et des films d’animation africains sous-estimées pour leur manque de qualité et de contenu est en train de disparaître, laissant espérer que les bandes dessinées et les dessins animés pourraient un jour représenter véritablement la vaste mine d’histoires et de diversités africaines qui peut être interprétée des manières les plus créatives et durables possibles, de façon à soutenir favorablement la concurrence sur l’échiquier mondial, chose que les médias traditionnels ont manqué de faire.

Éduquer les enfants africains en Afrique et hors du continent

Récemment, de jeunes scénaristes africains, créateurs de bandes dessinées et de films d’animation ont montré qu’avec la combinaison d’investissements durables, de plans, de canaux de distribution appropriés et d’incitations, ils ont la capacité de créer des contenus et adapter les supports d’enseignement en salle de classe basés sur la culture occidentale et très prisés en bandes dessinées, en dessins animés sur internet, en films d’animation et en réalités virtuelles croustillantes, excitantes, innovantes pleins d’imageries et de réalités culturelles africaines susceptibles d’avoir un impact important sur l’éducation durable. Ils sont passés du statut de jeunes ayant un potentiel à celui de jeunes qui façonnent le secteur du contenu éducatif dans leurs différents pays. Les dessins animés et les bandes dessinées dans cette catégorie offrent à l’enfant africain un contenu familier à son environnement sans entraîner l’altération de son identité et ses valeurs culturelles. Associée à l’utilisation précoce et massive de supports d’apprentissage occidentaux dans l’environnement d’apprentissage africain, cette altération pourrait auparavant entraîner un choc culturel et une crise environnementale pendant la formation de l’identité de façon générale. La romancière primée, Chimamanda Ngozi Adichie, a si bien dépeint ce type de crise dans ses entretiens avec TED sur son roman intitulé The Dangers of a Single Story en ces termes :

« quand j’ai commencé à écrire, vers l’âge de sept ans, des histoires écrites à la main et illustrées aux crayons de couleur que ma pauvre mère était obligée de lire, j’écrivais des histoires exactement du même type que celles que je lisais. Tous mes personnages étaient des blancs aux yeux bleus. Ils jouaient dans la neige. Ils mangeaient des pommes et ce malgré le fait que je vivais au Nigeria. Je ne l’avais jamais été en dehors du Nigeria. On n’avait pas de neige, nous mangions des mangues, et on ne parlait jamais du temps, parce qu’il n’y avait pas besoin. »

Déjà, des efforts encourageants sont en cours pour produire et distribuer ce contenu et le rendre disponible dans les cercles d’édition et le cyberespace, qui sont plus accessibles dans une plus large mesure.

Dans la corne de l’Afrique, nous avons Ubongo Kids, une série éducative tanzanienne animée, qui a été lancée sur TanzaniaTV en 2014, avec plus de 34 épisodes en swahili et en anglais. Ubongo Kids innove dans la façon dont l’enfant tanzanien apprend les mathématiques et les problèmes sociaux se posant dans le pays. Avec un nombre de téléspectateurs de plus de 2 millions rien qu’en Tanzanie, et des millions d’autres en Afrique de l’Est et de l’Ouest ainsi qu’en ligne, cette série singulière de dessins animés a instruit les enfants tanzaniens des zones rurales plus que tout autre contenu éducatif dans le pays. Le dessin animé suit la vie de Kibena, de Kiduchu, de Koba et de Baraka et de leurs amis animaux tels que Mama Ndege – un génie des mathématiques à plumes, Uncle T – une Giraffe rappeur, et Tiny Tembo – un éléphant utile, dans la mesure où ils utilisent leur esprit, leur intelligence et leur intellect pour résoudre les mystères et les problèmes de leur village à travers une approche multidisciplinaire telle que les mathématiques, l’éducation à la santé, la science et les arts. Selon le site web, une étude menée dans les zones rurales de la Tanzanie montre qu’un enfant téléspectateur moyen régulier de la série qui en a regardé des heures supplémentaires a amélioré ses connaissances en mathématiques plus qu’un enfant donné qui ne l’a pas fait. De plus, il y a une expérience supplémentaire d’utilisateur, telle que le quiz hebdomadaire, qui s’ajoute au paquet global d’apprentissage accessible via un téléphone.

Bino et Fino, inspirés par un contenu nigérian, visant un public cible d’enfants âgés de 0 à 6 ans au Nigeria et dans les diasporas, constitue un autre exemple de la puissance de la créativité de la bande dessinée et du film d’animation. En 2007, le créateur de l’émission, Adamu Waziri, a décidé de créer et de lancer Bino et Fino en raison de l’absence massive de dessins animés éducatifs pour enfants d’inspiration africaine au Nigeria. Ses deux personnages principaux sont frères et vivent en Afrique subsaharienne avec leurs parents, et leur ami, Zino, un papillon magique. Dans chaque épisode, ils traversent les histoires et les cultures de l’Afrique à travers des aventures que les dessins animés classiques ont négligées malheureusement. Les langues nigérianes populaires telles que le haoussa, l’igbo et le yoruba sont intégrées dans la série et ce choix fait des adeptes issus de tout le continent et de la diaspora.

Bouba et Zaza sont un autre film d’animation éducatif d’inspiration africaine qui mérite d’être mentionné. Il s’agit d’un projet datant de 2012 de l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA), de Michel Lafon Editions et du Bureau régional multisectoriel de l’UNESCO pour l’Afrique de l’Ouest à Dakar (Sénégal) visant à sensibiliser les enfants aux valeurs civiques et aux problèmes tels que le sida, la guerre ou la protection de l’environnement. Il a commencé avec une série d’histoires à images avant d’être adapté sous forme d’animation dans le contexte africain. Avec un seul épisode, il a suscité chez les enfants africains de petits moyens de contribuer à rendre leur environnement plus propre et plus sûr, ce qui a incité les adultes à faire montre de responsabilités accrues dans leurs activités anthropiques à l’égard de l’environnement. Les exemples de messages axés sur un environnement plus sûr transmis par les frères, Bouba et Zaza, et leurs amis à l’école ainsi que dans le quartier indiquent que le changement climatique pourrait être géré efficacement lorsque nous commencerons à nous préoccuper de l’élimination appropriée des déchets et ainsi de suite. Mais, comment les enfants africains peuvent-ils connaître leur rôle dans l’atténuation du changement climatique, si ce n’est grâce à la disponibilité de ce type de série d’animations qui cadre avec leur environnement immédiat et leur expérience.

La série éthiopienne Abeba et Abebe est un autre film d’animation éducatif remarquable tenant compte du manque de connaissances de la constitution du pays observé chez les enfants éthiopiens (âgés de 6 à 12 ans), ce qui leur permet de connaître leurs droits. Produite dans la langue amharique éthiopienne, la série met en scène des personnages, à savoir les frères Abeba et Abebe, qui, avec leurs amis d’école, apprennent les droits fondamentaux de l’homme et de l’enfant que leur constitution éthiopienne défend et qu’ils exposent plus tard dans leur quartier et entre amis lors des jeux.

Enfin, en ce qui concerne les dessins animés, il faut absolument mentionner Samba et Leuk, le premier dessin animé basé sur de vraies légendes africaines. La série s'inspire des histoires et personnages célèbres créés par l'écrivain Leopold Sedar Senghor. Samba et Leuk est une série de dessins animés réalisés en 1995 (26 épisodes), et initiés par Marathon Productions. Ce dessin animé fut entièrement réalisé à la main, image par image, sans l'aide d'aucun ordinateur, par une remarquable équipe de 350 personnes. 

L’appropriation et le soutien des gouvernements africains sont essentiels

Les gouvernements africains n’ont pas encore adopté et soutenu cette innovation par rapport aux acteurs internationaux et régionaux tels que l’UNICEF, l’UNESCO et l’ADEA qui ont manifesté leur vif intérêt pour la qualité. Les sociétés les plus puissantes au monde façonnent toujours leurs connaissances et enseignements pertinents à travers des supports faciles à comprendre pour leurs jeunes générations. Elles comprennent que la pérennisation de leur grandeur dépend de la qualité des investissements consentis au profit de leurs jeunes. Ainsi, le besoin d’intervention et de soutien des gouvernements au profit des bandes dessinées et des dessins animés devient-il nécessaire puisque ce sont des médias stratégiques pour établir des liens avec les jeunes générations en ce millénaire. Il est hautement souhaitable que différents acteurs internationaux, régionaux et locaux de l’éducation en Afrique y contribuent en mettant en place des plateformes éducatives innovantes pour créer des contenus enrichissants pour les jeunes.