Efficacité de l’aide : L’appropriation reste-t-elle une question pertinente dans la coopération au développement ?

Photo taken during the opening session of the ADEA 2017 Triennale held in Senegal from 14th to 17th March 2017. Copyright: ADEA

L’Agenda 2030, à travers son objectif de développement durable 17 (ODD 17), vise à « renforcer les moyens de mettre en œuvre et de revitaliser le partenariat mondial pour le développement durable ». Pour atteindre cet objectif, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) se réfère aux objectifs de développement qui sont « pilotés par les pays et qui leur sont propres » et le Fonds des Nations Unies pour la réalisation des objectifs du développement durable (Fonds pour les ODD) souligne que « les efforts visant à accroître l’efficacité de la coopération au développement devraient être fondés sur les principes fondamentaux d’appropriation par les pays, de partenariats inclusifs, de transparence et de redevabilité ».

« Découverte » de l’appropriation en tant qu’élément fondamental d’une coopération au développement efficace

AppropriationOn pourrait penser que le mot, le concept a toujours été au centre du discours et de la pratique de la coopération internationale au développement. Il n’en est rien. En effet, l’appropriation est apparue pour la première fois dans le discours sur le développement vers 1992-1993, suite à un Rapport de la Banque mondiale axé sur la performance de la gestion du portefeuille de la Banque.  Sur la base des critères d’examen des projets appliqués par la Banque, le rapport a constaté que 37,5 % des projets récemment évalués à l’époque étaient insatisfaisants. C’est un taux énorme !  

Le rapport concluait que la mauvaise exécution des projets financés par la Banque était en grande partie à l’origine de cette contre-performance des projets examinés. En effet, les deux premières conclusions (sur cinq) de ce rapport se déclinaient comme ci-après : i) « Le succès de la Banque est déterminé par les avantages sur le terrain - l’impact durable en termes de développement - et non par les approbations de prêts, les bons rapports ou les décaissements » ; et ii) « Une mise en œuvre réussie exige un engagement, fondé sur la participation des parties prenantes et l’appropriation locale ». En d’autres termes, le problème était que ces projets étaient considérés comme des projets de la Banque mondiale et non comme des projets gouvernementaux. La piètre efficacité de ces projets était attribuée à leur piètre mise en œuvre, qui découlait elle-même des faibles niveaux de participation des bénéficiaires et d’engagement des pouvoirs publics à l’égard des projets. La Banque mondiale a reconnu que l’absence d’appropriation par les gouvernements et les bénéficiaires s’est traduite par un faible attachement aux objectifs des projets.

L’une des principales raisons de cette situation, selon le rapport, était que le personnel de la Banque se préoccupait davantage de la « culture d’approbation » interne de la Banque que de considérations propres à chaque pays, telles que l’appropriation par les pays de ce qui, en théorie, était leurs projets et dont ils étaient censés rembourser les coûts à la Banque mondiale.

Après ce rapport, « l’appropriation » est devenue un mot à la mode dans toute la communauté de la coopération au développement.  L’ADEA - toujours aussi sensible aux problématiques du moment – s’est penchée sur les aspects du lien entre la mise en œuvre et l’appropriation lors de sa Biennale de 1993 (tenue à Angers, France). Cette réunion avait pour thème « Améliorer la mise en œuvre des projets dans les domaines de l’éducation en Afrique par l’appropriation ». Bon nombre des questions qui hantent encore la communauté de la coopération au développement en matière d’éducation ont été soulevées lors de cette réunion de 1993.  Il s’agit notamment de la conception de projets dont la mise en œuvre dépasse les capacités nationales, de la gestion de l’aide qui n’est pas pilotée par les pays, des calendriers et contraintes des donateurs qui l’emportent sur ceux des pays et même sur les logiques internes des systèmes et cycles éducatifs, et de l’absence de véritables partenariats entre donateurs et bénéficiaires (thème de la Biennale tenue à Dakar en 1997).

Et pourtant, les progrès dans ces domaines et les questions connexes sont encore insuffisants. En effet, l’appropriation nationale effective demeure un problème, même par ces temps d’appui au programme et d’appui budgétaire, c’est-à-dire dans un contexte où l’appui financier extérieur est fondé sur des documents de politique générale pluriannuels, basés sur des données factuelles et sur les analyses sectorielles ou politiques sur lesquelles il est censé reposer.    

Lien critique entre « partenariats » et « appropriation »

L’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA) s’est penchée sur un aspect de cette question à sa Biennale de 1997 tenue à Dakar (Sénégal).  Cette réunion et l’ouvrage qui en a résulté ont examiné la théorie et la pratique des « partenariats » pour le renforcement des capacités et l’amélioration de la qualité de l’éducation en Afrique. Un article publié dans cet ouvrage (de J. Samoff) portait sur le travail accompli par l’ancien Groupe de travail de l’ADEA sur l’analyse du secteur de l’éducation (fusionné en 2006 avec le Groupe de travail sur la gestion de l’éducation et l’appui aux politiques, le GT-GEAP, à présent rebaptisé Task Force sur la gestion de l’éducation et l’appui aux politiques, TF-GEAP) qui avait entrepris un examen approfondi de près de 240 études et rapports d’analyse sur ce secteur. Cet examen a révélé que « en dépit de la diversité des pays passés en revue et des organismes à l’origine des études, [les documents examinés] présentaient des hypothèses, des méthodes, des observations, des conclusions et des recommandations généralement similaires ». Samoff a conclu que « bien trop souvent, [le processus d’analyse du secteur] est resté dicté par les programmes et les procédures des organismes de financement et d’assistance technique, avec une participation nationale limitée, un contrôle national limité et un très faible sentiment d’appropriation nationale ».

Y a-t-il eu des changements considérables depuis lors (indice : pas beaucoup) ? Est-il encore raisonnable de penser que l’appropriation nationale, la bonne mise en œuvre et, par conséquent, l’efficacité de l’aide sont liées, à en croire l’analyse du rapport de la Banque mondiale de 1992 (indice : oui) ? Les blogs à venir de cette série sur l’efficacité de l’aide examineront ces questions et analyseront : les raisons pour lesquelles l’appropriation est importante ; les facteurs qui peuvent expliquer comment et pourquoi elle apparaît encore comme un problème majeur un quart de siècle après avoir été « découverte » comme importante pour une mise en œuvre efficace et la performance des projets ; et les méthodes pour promouvoir l’appropriation dans le cadre de la coopération au développement pour l’éducation en Afrique.