Kenya : le rôle essentiel des langues nationales dans l'éducation et la formation

À l’occasion de la Journée internationale de la langue maternelle, attardons-nous un moment sur les mesures prises par le Kenya afin que 18 de ses langues nationales soient utilisées dans le programme scolaire, dans le but de promouvoir la diversité culturelle et linguistique.

Des élèves dans leur salle de classe à l'école de Nyamachaki dans le comté de Nyeri au Kenya. PME/Kelley Lynch

Cet article est le 2ème d'une série de blogs publiés en 2020 dans le cadre d'une collaboration entre l'Association pour le développement de l'éducation en Afrique (ADEA) et le Partenariat mondial pour l'éducation.

« Si vous connaissez toutes les langues du monde et que vous ne connaissez pas votre langue maternelle ou la langue de votre culture, c'est de l'ASSERVISSEMENT. Mais, si vous connaissez votre langue maternelle ou la langue de votre culture et que vous y ajoutez toutes les autres langues du monde, c'est de l'AUTONOMISATION. »

Prof. Ngugi WA Thiong'o

La Journée internationale de la langue maternelle est célébrée chaque année depuis février 2000, dans le but de promouvoir la diversité linguistique et culturelle, et le multilinguisme.

Aujourd'hui, on reconnait de plus en plus le rôle essentiel que jouent les langues dans le développement, en assurant la diversité culturelle et le dialogue interculturel. Elles contribuent également à renforcer la coopération et à soutenir la réalisation d'une éducation de qualité pour tous, à construire des sociétés du savoir inclusives, à préserver le patrimoine culturel et à mobiliser la volonté politique pour appliquer les bienfaits de la science et de la technologie au service du développement durable.

Promouvoir la diversité linguistique et culturelle dans les systèmes éducatifs africains

Depuis au moins cinq décennies, suite au rapport de l'UNESCO de 1953 sur L’utilisation des langues vernaculaires dans l'éducation, les pays africains peinent à trouver une stratégie efficace pouvant leur permettre de passer d'un système éducatif hérité de la période coloniale à un système davantage transformateur et à une éducation culturellement pertinente qui tienne compte des cultures et des langues africaines.

En juin 2018 à Nairobi, l'ADEA, en partenariat avec l’Alliance mondiale du livre (Global Book Alliance - GBA), l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et la Commission de l'Union africaine (CUA), a organisé un atelier de haut niveau sur les politiques nationales du livre et de la lecture en Afrique, afin de soutenir une éducation de qualité pour le développement national grâce à une alphabétisation durable et améliorée.

Le Dr Henry Chakava, l'un des principaux éditeurs kenyans, a présenté un exposé sur « Les langues perdues et la lutte pour préserver les langues autochtones africaines », mettant en lumière l'importance des langues maternelles dans l'éducation et la formation. Il a souligné le fait qu'il existait environ 2 000 langues africaines, qui malheureusement disparaissaient, emportant avec elles tout un patrimoine culturel et intellectuel. Il en va de même pour au moins 43 % des quelques 6 000 langues parlées dans le monde.

Aujourd'hui, au Kenya par exemple, six langues ont été classées comme mortes et sept autres sont menacées.

C'est dans ce cadre que ces dernières années, l'ADEA - à travers sa section Livres et matériels éducatifs et son Pôle de qualité inter-pays sur l'alphabétisation et les langues nationales (PQIP-ALN) et ses partenaires stratégiques - a réitéré l'importance indéniable de la langue maternelle comme vecteur de communication à grande échelle et comme facteur de formation dans les systèmes éducatifs africains. L'utilisation des langues maternelles favorise également la compréhension mutuelle et l'intégration des peuples.

Le cas du Kenya : publication et éducation en langue locale au niveau du primaire

En 2018, l’Institut kenyan pour le développement des programmes scolaires (Kenya Institute of Curriculum Development - KICD) a approuvé le développement de matériels pédagogiques en langue maternelle pour quatre communautés à savoir les communautés Gikuyu, Kikamba, Dholuo et Ekegusii. Cela a favorisé le développement d'activités linguistiques dans ces régions.

Le nouveau cadre du programme scolaire reconnaît le Kenya comme une communauté multiethnique. Il affirme en outre que, apprendre dans une langue connue des apprenants, leur permet de construire plus facilement leur propre compréhension et de chercher un sens à leurs expériences quotidiennes, consolidant ainsi leurs propres forces.

Dans le cadre du nouveau programme, la langue maternelle sera enseignée au niveau du préprimaire, c'est-à-dire de la maternelle à la 3e année de scolarisation des enfants. À cette fin, le KICD a organisé des ateliers en novembre 2019 qui ont réuni des experts des langues autochtones.

C’est la première fois dans l’histoire du programme que plus de 18 langues locales sont développées de manière à permettre aux apprenants de choisir d’étudier leur dialecte jusqu’au niveau universitaire. Les 18 langues incluent l’abasuba, le turkana, le somali, le pokomo, le maragoli, le kitubheta, le kidigo, le kiitharaka, le giriama, le bukusu, le borana, le kamba, le dholuo, le gikuyu, le kalenjin, l’ekegusi, le chiduruma et le maa. Des textes seront élaborés dans ces langues pour être utilisés dans les salles de classe, financés par le gouvernement à travers des achats auprès d'éditeurs locaux.

Des difficultés des publications en langue locale

Cette initiative du KICD est louable car elle montre un réel engagement du ministère de l'Éducation à cultiver la langue maternelle pour le renforcement de l'éducation. Cependant, une étape critique liée à des problèmes de capacités survient lors de l'impression et de la distribution de ces livres.

La distribution de livres publiés localement pose des problèmes particuliers, car les locuteurs des langues autochtones sont concentrés dans une seule région ; et là où les canaux de distribution normaux tels que les librairies et les bibliothèques pourraient être utiles, dans la plupart des cas, ils ne sont pas disponibles.

Par ailleurs, les appels d’offre des gouvernements et des partenaires de développement requièrent que les éditeurs livrent directement les livres aux écoles. Une close qui relève souvent du cauchemar pour les éditeurs, ces derniers n'ayant pas la capacité de le faire.

Nous ne pouvons pas créer une conscience du livre et une culture de la lecture sans librairies et bibliothèques communautaires.

Un investissement à long terme dans les langues locales pour le succès des éditeurs

Quel est le potentiel des langues locales pour les éditeurs ? Nous pensons que les opportunités dans ces langues viennent avec l'usage. Le cas du kiswahili au Kenya en est un bon exemple. Depuis qu'il est devenu un sujet d'enseignement et d'examen il y a 37 ans, de nombreuses opportunités de diffusion de la langue se sont ouvertes à travers l'enseignement, les médias, les journaux, la traduction et la rédaction de livres ainsi que d'autres documents de référence. Le kiswahili est désormais enseigné au niveau du doctorat. C’était déjà le cas avec les langues nigérianes telles que le yoruba, l'igbo et l’hausa.

Il suffirait alors que l’East African Educational Publishers (EAEP) - impliqué dans l'édition en langues autochtones depuis leur création en 1965 - plaide en faveur de l'écriture, de la publication et de l'utilisation de la langue maternelle au Kenya.

L’EAEP a commencé par publier des œuvres originales en kiswahili et des traductions de la série des écrivains africains (African Writers Series - AWS) et a depuis publié en anglais, français, kiswahili et dans diverses langues et dialectes nationaux.

Aujourd'hui, l’EAEP compte 1 894 titres à son catalogue : 1 423 titres en anglais, 10 en français, 360 en kiswahili et 101 dans d'autres langues africaines. Les ventes de titres en kiswahili et dans d’autres langues et dialectes nationaux représentent environ 35 % du chiffre d’affaires total de l’entreprise.

Les politiques linguistiques devraient favoriser les langues nationales

Ces statistiques montrent qu'il est possible de publier avec succès dans les langues autochtones malgré les défis décrits ci-dessus. Une politique gouvernementale favorable est essentielle, et il faut avoir le courage, la détermination et la patience pour obtenir des résultats positifs.

Une politique linguistique permettrait d'obtenir le soutien nécessaire par le biais de mesures incitatives ou de ressources réservées au soutien des auteurs et des éditeurs. Cela les encouragerait à produire des manuscrits de qualité, rendant ainsi la publication en langue locale plus pertinente et attrayante.

Nous devons chacun décider d’agir pour sauver nos langues autochtones qui disparaissent à un rythme effréné.