Fournir une éducation à domicile dans les États membres africains de l’ADEA lors de la pandémie de COVID-19 : Bref rapport de situation

Introduction

Depuis son émergence à la fin de 2019, la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) est devenue une pandémie, affectant fortement la vie de milliards de personnes à travers le monde, avec un impact énorme prévu sur l'économie mondiale et l'Afrique en particulier. L'éducation est l'un des secteurs les plus touchés, la fermeture des établissements d'enseignement dans de nombreux pays africains risquant d'affecter négativement la qualité de l'éducation. Les gouvernements et les principaux acteurs de l'éducation ont mis en place des mesures pour promouvoir la continuité de l'éducation à domicile. Celles-ci ont réussi à certains égards, mais des défis subsistent.

Afin d'obtenir une vision plus claire de l'état de l'apprentissage au cours de cette période et de mieux soutenir les pays dans l'immédiat, à court et à long terme, l'ADEA a engagé en mars 2020 certains des pays africains les plus touchés pour schématiser la situation nationale du secteur de l'éducation. Ce qui précède est un résumé des commentaires reçus par l'Afrique du Sud, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, l'Égypte, le Ghana, le Kenya, l’île Maurice, le Maroc, le Rwanda, le Sénégal, la Tunisie et la Zambie en termes de stratégies nationales, de plateformes, d'outils ou d'applications d’apprentissage, de lacunes et défis, d’engagement des partenaires, de bonnes pratiques et d’enseignements tirés avec quelques recommandations. Cela permettra à l'ADEA, avec d'autres partenaires, de formuler des stratégies pertinentes d’accompagnement et de les partager avec d'autres pays africains pour l'apprentissage par les pairs et l'échange d'expériences.

Stratégies nationales mises en place pour assurer la continuité de l'apprentissage à domicile

  • Créer de comités présidentiels multisectoriels sur le COVID-19, des comités nationaux et des groupes de travail au niveau sous-national pour la gestion et la continuité pédagogique de l'éducation.
  • Diversifier l'utilisation des plates-formes de communication traditionnelles telles que la radio et la télévision, des plates-formes numériques comme les portails publics et privés et les médias sociaux, ainsi que des ressources numériques et audiovisuelles et des kits didactiques pour les divers besoins des enseignants et des apprenants.
  • Négocier avec les fournisseurs de télécommunications mobiles pour permettre aux enseignants et aux apprenants d'accéder gratuitement ou à des tarifs réduits aux plateformes et ressources d'apprentissage à distance / en ligne en utilisant les réseaux de téléphonie mobile.
  • Accorder la priorité à la fourniture de solutions aux apprenants dans les classes d'examen/certification aux différents niveaux et aux classes avec le plus grand nombre d’inscriptions ; et organiser des cours de rattrapage préparatoires.
  • Mettre en place un système qui examine et valide le contenu des programmes éducatifs des chaînes de télévision privées et publiques offerts aux apprenants, dans le cadre de la normalisation et de l'assurance qualité.
  • Reporter les vacances scolaires pour assurer la continuité pédagogique et minimiser le poids des impacts négatifs que l'interruption des cours pourrait avoir sur les résultats scolaires.
  • Fournir un "service d'écoute électronique" a travers un numéro gratuit et une adresse e-mail pour aider les apprenants, les enseignants et les parents qui peuvent ainsi envoyer des questions et des suggestions pour faire avancer le processus d'apprentissage à distance.

Plateformes et outils/applications d'enseignement et d'apprentissage

  • La plupart des pays consultés ont des plates-formes d'enseignement et d'apprentissage ainsi que des outils / applications en place et opérationnels. Il s'agit notamment des chaînes de radio et de télévision publiques, privées et communautaires avec des horaires précis de cours, des sites web et portails du ministère de l’Education et autres institutions liées, des plateformes et outils interactifs audio et de vidéoconférence, et diverses applications d'apprentissage.

  • La couverture complète du contenu pendant les durées de cours allouées reste cependant un défi, certains apprenants et parents trouvant les cours de télévision « trop rapides » pour être assimilés. Ces apprenants sont parfois contraints d'enregistrer les leçons diffusées sur leur téléphone portable afin de les réécouter ou de les regarder plus tard pour une meilleure compréhension. Les apprenants ont également du mal à poser des questions aux présentateurs de cours (éducateurs) et doivent chercher des réponses auprès de leurs parents, dont certains ne sont pas en mesure de les aider.

Engagement des parties prenantes

Tous les pays ont indiqué qu'ils travaillent avec une diversité de parties prenantes, y compris les partenaires techniques et financiers, à différents niveaux de l'administration publique.

  • Dans les secteurs publics, l'engagement stratégique se fait avec d'autres ministères et institutions gouvernementales de soutien, tels que les finances, la sécurité intérieure, la santé, la planification et les TIC. Les divers ministères de l'éducation collaborent également avec les stations de radio et de télévision nationales pour la diffusion en direct et la rediffusion des programmes de contenu éducatif.
  • Les ministères de l’éducation collaborent également avec d’autres parties prenantes telles que le secteur privé, les syndicats d’enseignants, les comités de gestion des écoles, les associations de parents, les partenaires de la coopération au développement, la société civile, qui comprend des ONG et des organisations confessionnelles. Pour le secteur privé, cela comprend les maisons de médias privées de radio et de télévision, les sociétés de télécommunications, ainsi que les entreprises du secteur des TIC et de l’EdTech, entre autres.
  • Les partenaires de coopération au développement impliqués comprennent des partenaires de l'éducation traditionnelle tant internes qu’externes ainsi que de nouveaux acteurs du paysage éducatif.

Aborder l'inclusion

Au-delà de l'utilisation de la radio et de la télévision pour la diffusion dans tous les pays, avec l'ajout de la langue des signes, il existe peu de preuves d'initiatives délibérées visant à résoudre le problème de l'inclusion.

Les interventions spécifiques incluent le Burkina Faso où les ONG et les associations communautaires proposent différentes interventions dans l'éducation non formelle pour atteindre tous les groupes, le Maroc où les cours sont retransmis le week-end (samedi et dimanche) et la fourniture d'un soutien financier aux ménages en difficulté ; et l'Afrique du Sud qui a un contenu éducatif gratuit pour garantir que les communautés pauvres bénéficient également de solutions sans encourir le coût des data pour accéder au contenu éducatif, en plus d'avoir des accords avec les fournisseurs de réseau pour offrir des solutions éducatives, y compris des appareils et accessoires fonctionnels, aux apprenants ayant des besoins éducatifs spéciaux.

Ainsi, la question de l'inclusion semble toujours difficile, y compris pour les ménages sans télévision ni radio et où les parents ou tuteurs ne sont pas alphabétisés. Il y a aussi des cas d'apprenants avec une charge accrue de tâches ménagères et d'apprenants ayant une déficience visuelle. Il est cependant bon de voir que certains pays utilisent les langues locales pour l'enseignement à distance.

Lacunes et défis dans la mise en œuvre

Malgré les vaillants efforts déployés par les pays pour assurer la continuité de l'éducation, des lacunes et des défis ne manqueront pas d'exister en raison du besoin soudain et nécessairement urgent de mettre en place une stratégie et un plan. Il s'agit notamment de l'inclusion (non seulement en termes de couverture et d'engagement sectoriel « à tous les niveaux », mais aussi dans l'utilisation des TIC et la couverture radio et TV), le manque de temps pour une préparation adéquate des éducateurs à la prestation de cours en ligne, un financement inadéquat, une faiblesse dans la supervision parentale parmi certains ménages, une faible assurance qualité dans les évaluations et un suivi et évaluation (S&E) faible ou inefficace.

  • Le défi d'accès aux outils TIC est récurrent en termes d'outils adéquats et de faible couverture d'Internet, avec seulement quelques pays mentionnant le soutien du gouvernement à travers un plan visant à fournir un forfait Internet gratuit aux ménages vulnérables.
  • Très peu de pays font référence à l'utilisation d'applications mobiles pour le contenu éducatif.
  • Les éducateurs n'ont pas été suffisamment préparés pour travailler à domicile car cela nécessite une approche pédagogique différente. Il y a un manque de clarté sur la façon dont les pays vont permettre aux éducateurs d'adopter et d'utiliser des solutions TIC, et il n'y a pas non plus de directives adéquates pour évaluer les apprenants, au-delà des tâches/devoirs. 
  • Il ne semble pas y avoir de format clair prévu pour le suivi des apprenants afin de garantir la réalisation des devoirs. Cependant, pour les apprenants des écoles privées, les choses sont différentes et les éducateurs peuvent obtenir des commentaires en ligne.
  • Le monopole de la radio et / ou de la télévision dans certains foyers est un véritable défi : il n'y a qu'un seul téléviseur dans la plupart des ménages. Ainsi, si le chef de la maison n'aime pas l'éducation, cela privera les apprenants de la possibilité d'apprendre car il y aura une ruée sur le temps de  télévision. Dans certains foyers, l'utilisation de la radio est réservée aux parents, notamment pour écouter les informations.
  • Enfin, ce type d'enseignement profite largement à ceux qui ont accès aux TIC et aux smartphones ; il s'adresse à peine à ceux qui vivent dans des zones d'habitation informelle et des foyers à faible revenu où l'électricité n'est pas disponible. Ainsi, les apprenants ne seront pas de pair en termes de couverture du programme car il y a ceux qui ne feront pas le travail parce qu'ils ne sont pas supervisés, et d'autres qui ne peuvent pas accéder aux leçons et aux notes disponibles en ligne.

Bonnes pratiques

  • Il est encore tôt pour connaître le plein impact des mesures prises par les pays pour assurer la continuité de l'éducation pendant la pandémie de COVID-19. Une approche politique stratégique clé – et que garantit l’appropriation du processus parles pays – concerne la création de comites éducatifs multipartites diriges par l’Etat aux niveaux nationaux et sous-nationaux.  Cela s'ajoute à l'utilisation de divers médias et outils pour fournir une formation à distance et en ligne grâce à une communication interactive entre les enseignants, les apprenants et la communauté. Certains pays ont développé leur propre plateforme pour fournir du contenu éducatif.
  • Deuxièmement, en raison du changement soudain et imprévu du mode de prestation de l'enseignement, bon nombre de pays ont donné la priorité aux apprenants dans les classes d'examen. 
  • Une troisième bonne pratique concerne le partenariat. Tous les pays ont indiqué qu'ils collaboraient formellement avec un grand nombre de parties prenantes, tant au sein du gouvernement qu'à l'extérieur, pour dispenser l'enseignement à domicile.  Il s'agit notamment de partenaires techniques et financiers de la coopération au développement, du secteur privé (par exemple, les entreprises de radio et de télévision privées, les entreprises de télécommunications, ainsi que les entreprises de TIC et d'EdTech), de la société civile (par exemple, les ONG et les organisations religieuses).
  • La mise en place d'un système de validation des contenus éducatifs proposés par les parties prenantes, par les institutions gouvernementales compétentes et la conclusion d'accords avec les fournisseurs de télécommunications pour l'accès aux ressources en ligne gratuitement ou à des tarifs réduits en utilisant les réseaux de téléphonie mobile, constituent également une bonne pratique.
  • Dans certains pays, les apprenants, les éducateurs et les parents ont également accès à un forum central où ils peuvent dialoguer avec leurs pairs et les experts en éducation à travers un numéro vert et une adresse électronique.
  • Enfin, quelques pays revoient le calendrier des vacances scolaires et prévoient un tutorat et des cours de rattrapage une fois la reprise de l'apprentissage normal.

Enseignements tirés

Vous trouverez ci-dessous quelques-unes des bonnes pratiques et des leçons qui peuvent être partagées pour informer les futurs préparatifs en vue d'éventualités telles que le COVID-19.

  1. D'une manière générale, la crise sanitaire actuelle a mis en évidence la capacité à mettre en commun les compétences et les ressources des différents acteurs des secteurs public et privé, tant au niveau national qu'international. Plus précisément, elle a permis d'expérimenter de nouvelles approches d'apprentissage et de nouvelles voies de diffusion des connaissances (par exemple, la diffusion en ligne de modules de cours filmés, l'utilisation de téléphones mobiles et intelligents, de télévisions et de radios).
  2. L'optimisation de l'utilisation des chaînes de radio et de télévision nationales spécialisées contribue à réduire les inégalités et à renforcer l'inclusion dans l'offre d'apprentissage numérique. On s’attend à ce que les  stations de ces deux médias reconnaissent leur rôle clé dans le soutien des objectifs nationaux en matière d'éducation et s'efforcent d'améliorer la qualité de leur programmation, dans le cadre de leur responsabilité sociale.
  3. L'engagement, la mobilisation générale et la participation civique responsable de tous les acteurs du secteur de l'éducation et de la formation et des autres secteurs du développement socio-économique sont des ingrédients nécessaires à la réussite de tout projet national d'enseignement à distance.
  4. Le développement préalable d'une grande expertise dans le domaine de l'enseignement à distance est nécessaire. Au Maroc et dans d'autres pays africains, par exemple, l'enseignement à distance ne date pas du début de COVID-19 ; plusieurs portails fonctionnels existent depuis longtemps et couvrent tous les niveaux d'enseignement.
  5. L'utilisation intensive des outils de la quatrième révolution industrielle (4IR) et l'utilisation de mécanismes à distance pour accéder au contenu de l'éducation sont essentielles en temps de crise ; elles nécessitent des investissements importants.
  6. La nécessité d'une collaboration solide est également essentielle car les gouvernements ne peuvent pas gérer seuls l'expansion de l'offre d'éducation par le biais de plateformes en ligne et d'autres outils.

Il y a des questions importantes qui doivent être approfondies, à l'avenir. Il s'agit notamment de l'augmentation potentielle de la population d'enfants et de jeunes non scolarisés, de la nécessité d'accroître les investissements dans les sciences, les technologies, l'ingénierie et les mathématiques (STEM) et la recherche pour stimuler l'innovation au niveau national, de la préparation adéquate des éducateurs, de l'augmentation potentielle de la maltraitance des enfants due à l'augmentation des violences domestiques, de l'exploration de nouvelles méthodes d'administration des examens et d'évaluation, de l'organisation de cours pratiques, y compris dans la formation professionnelle, de l'orientation et du conseil à distance, de l'exploitation de l'utilisation des cours en ligne ouverts et massifs (MOOC) et des ressources éducatives ouvertes (REL), et du financement.

Conclusion et recommandations

L'expérience de COVID-19 a montré que le secteur de l'éducation en Afrique n'est pas prêt à adopter une "approche commerciale inhabituelle" face à des situations qui le détournent de ses activités habituelles. Les pays africains devraient donc mettre en place des plans d'intervention solides en matière d'éducation pour faire face aux catastrophes et situations d'urgence, et engager des ressources dans ces plans, afin que l'apprentissage se poursuive sans interruption. Les mesures en cours sont plus ou moins réactionnaires et n'ont pas encore considéré que cette situation pourrait durer plus longtemps.

  • Planification prospective : Mettre en place un système d'alerte précoce pour un suivi stratégique efficace du secteur de l'éducation afin d'anticiper les changements dans l'environnement éducatif et d'éviter les perturbations - une sorte de "Plan d'éducation Ubuntu ou Utu1".
  • Tirer profit de l'utilisation de la technologie : Les ministères de l'éducation devraient investir dans l'apprentissage virtuel, même si cela peut être coûteux, afin de se préparer à l'imprévisibilité et fournir un plan alternatif, dans le cadre de l'enseignement et de l'apprentissage réguliers. 
  • Tirer profit des MOOC et des REL : De plus en plus d'institutions et de particuliers continuent à partager des ressources d'apprentissage numériques sur Internet, ouvertes et sans frais. Il convient d'explorer cette possibilité tout en veillant à ce que les contenus fassent l'objet d'une assurance qualité appropriée.
  • Mise en commun des ressources au niveau régional pour l'enseignement à domicile : Dans le cadre de l'harmonisation en cours de l'éducation et de la formation pour promouvoir une plus grande mobilité des compétences et de la main-d'œuvre sur le continent dans le cadre de l'intégration régionale, les organismes régionaux et sous-régionaux africains devraient prendre l'initiative d'harmoniser les contenus des cours d'éducation et de formation et de mettre en commun les ressources techniques , financières et les compétences pour soutenir l'éducation à domicile.
  • Améliorer l'hygiène : Les pays devraient également améliorer l'hygiène générale des citoyens - et plus particulièrement des apprenants - en assainissant quotidiennement les zones scolaires. La fourniture d'eau, de savon, de désinfectants pour les mains, de papier toilette, de serviettes hygiéniques devrait être une priorité dans nos établissements d'enseignement.
  • Utilisation des données : Les ministères de l'éducation devraient envisager d'intégrer les aspects critiques découlant du COVID-19 relatifs à l'enseignement à distance dans leurs systèmes nationaux d'information sur la gestion de l'éducation (EMIS) afin de saisir les données essentielles qui éclairent les décisions relatives à la réforme du secteur de l'éducation pour faire face aux crises futures et éviter toute forme de perturbations et de discriminations, et pour maintenir une éducation de qualité, équitable et pertinente.
  • Enfin, il est également essentiel de renforcer les capacités du personnel de gestion et d'enseignement pour tous les aspects liés à des approches à distance et en ligne dans l'éducation et l'évaluation. Cela permet de garantir que leur niveau de compétence est suffisamment élevé pour soutenir l'utilisation des technologies éducatives dans la gestion des établissements d'enseignement et la diffusion des contenus.

 


[1] ‘Ubuntu’ (je suis parce que nous sommes) est un concept philosophique de l’Afrique australe qui fait référence aux interconnexions inextricables entre tous les êtres humains. ‘Utu’ est un concept similaire en swahili qui désigne l'état d'être humain et d'agir humainement.